SMF

Enjeux du positionnement du concours de recrutement d'enseignants

La Cour des comptes a fait au ministre de l’éducation nationale, et au ministre de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation, un ensemble de propositions sur la formation des enseignants (Référé n° S2018-0342 du 12 mars). En particulier, sur la position des concours de recrutement, il est proposé que les écrits, disciplinaires, aient lieu en fin de L3 et les oraux, plus professionnels, pendant le M1. Ceci ne concerne pas l’agrégation.

Le but du présent texte est d’analyser les enjeux de la mise en place d’une telle proposition.

La formation des enseignants peut être améliorée, mais les réformes se sont succédé à un rythme soutenu sans laisser aux équipes pédagogiques la possibilité d’analyser une formule avant de tout changer pour passer à une autre. Si l’on souhaite que ce changement soit accepté et soit un succès, il convient d’être conscient des obstacles à surmonter.
En particulier, si cette proposition devait être adoptée, il faudrait veiller en particulier à préserver des équilibres dans la formation et éclaircir certains points sur la situation des étudiants.

Il est essentiel de trouver un bon équilibre des différentes facettes de la formation

o  Cette proposition menace la synergie encore fragile et difficilement construite entre les ESPE et les composantes disciplinaires.

La proposition de la Cour des comptes encourage plutôt la séparation : enseignement disciplinaire avant les concours, enseignement didactique et pédagogique après. Cette juxtaposition des aspects de la formation (disciplinaire, didactique et pédagogique) peut donner aux étudiants l’impression que ces aspects sont en concurrence, et qu’on peut en négliger certains pour se consacrer à d’autres. Si au contraire, les enseignants échangent sur les questions qu’ils traitent et se coordonnent un minimum, les trois s’en trouvent enrichis et cette synergie renforce la cohérence pour les étudiants[1]. Mais ceci prend du temps et les équipes pédagogiques sont surchargées de travail. Si la structure n’encourage pas un minimum la collaboration, elle ne se fera pas.

o  Quel effet sur la formation en L3 disciplinaire et en M1 enseignement ?

Ce positionnement du concours devrait, en principe, autoriser la mise en place de licences permettant d’étudier les disciplines à un niveau approprié pour les étudiants voulant passer le CAPES, puis d’être plus sereins pendant un M1 où on trouverait un bon équilibre entre formation disciplinaire, didactique et pédagogique. Ceci améliorerait sensiblement les formations mais :

-  l’année de licence risque de se transformer en bachotage (ce qui arrive toujours lorsqu’une année se termine avec un concours). De plus, dans la mesure où une partie du concours resterait en M1, il y aurait deux années de formation avec concours au lieu d’une ;

-  on peut se demander s’il sera possible de continuer à faire du disciplinaire après le concours. Peut-être avec un éclairage didactique, dans les disciplines où l’on collabore volontiers sur ce point (ce qui est le cas des mathématiques), mais probablement pas dans toutes les disciplines.

o  Ne pas réduire les licences pluri-disciplinaires à une année de bachotage.

Au regard du rapport Torossian–Villani qui encourage la mise en place de licences pluri-disciplinaires, cette proposition est cohérente, mais encore une fois, la position du concours à l’issue du L3 transformerait ces licences en préparation au concours, au risque d’en contraindre le contenu. La richesse et la pertinence de la formation seront plus élevées si ces licences se mettent en place avec une véritable collaboration entres les ESPE et les composantes disciplinaires.

o  Dans le premier degré, cette proposition pourrait être bénéfique si le contenu du concours était profondément repensé.

En mai 2017, la SMF et la SMAI ont organisé une réunion des formateurs de mathématiques dans les masters MEEF premier degré. Ils ont débattu sur la place et le rôle du concours, arrivant à la conclusion qu’une telle organisation (celle proposée aujourd'hui) peut être bénéfique pour la formation initiale des enseignants. Cependant, l'opposition entre les objectifs du concours et ceux de la formation initiale avait été dénoncée. En effet, n'oublions pas que le concours, dans sa forme actuelle, porte principalement sur des contenus mathématiques de fin de collège, ce qui ne garantit pas la maîtrise, par les candidats reçus, des « fondamentaux » mathématiques enseignés dans le primaire, pas plus que le recul didactique nécessaire à leur enseignement. Il reste donc essentiel d'envisager une discussion de fond sur les objectifs réels du concours et ainsi que sur les aspects mathématiques et didactiques incontournables. Il ne s'agit pas là d'identifier des connaissances et compétences à maîtriser a minima, mais d'envisager une refonte du concours.

Sur l’organisation des formations

o  Cette proposition bouleverserait l’organisation des licences.

Si le nouveau concours se mettait en place pendant l’année 2020-2021, les universités devraient refaire des maquettes pour la rentrée 2020. Toutes les universités ne pourront pas se permettre d’avoir deux filières pour chaque discipline scolaire, une « recherche et agrégation » et une « CAPES », en plus des autres filières, et sans compter une éventuelle licence pluri-disciplinaire ou des dispositifs particuliers pour préparer les étudiants de licence au métier de professeur des écoles.

o  Quel effet sur le nombre de candidats ?

-  Pour les candidats arrivant directement en licence, on espère l’effet d’un pré-recrutement qui attirerait plus de monde. Mais le fait d’avoir à suivre une licence spécifique peut aussi avoir l’effet inverse et diminuer le nombre de candidats. Un véritable dispositif de pré-recrutement est nécessaire.

-  Pour les personnes en reconversion (il y en a beaucoup dans les parcours Mathématiques du second degré et dans le premier degré), cette organisation sera décourageante. Pour le moment, ils tentent le concours et s’ils réussissent, ils sont tout de suite stagiaires et rémunérés. La nouvelle version introduirait une année d’incertitude sans rémunération.

o  Un concours sur deux années universitaires complique une situation qui l’est déjà beaucoup :

-  La proposition de la Cour des comptes multiplierait les situations décalées : d’abord, il faut réussir la licence et l’admissibilité, puis le M1 et l’admission, enfin le M2 et la titularisation.

Les années à double objectif (pour le diplôme à l’université et pour le recrutement) engendrent des situations compliquées. Il faut inventer des parcours ou des modalités pour accueillir et former de façon cohérente ceux qui ont atteint seulement l’un des deux objectifs, et c’est souvent un véritable casse-tête pour mettre au point des solutions qui s’accordent avec les directives du ministère et les moyens et règles des universités. Dans le système actuel il y a deux années avec un double objectif et le fait de passer à trois va compliquer la situation au-delà du raisonnable[2].

 

-  On court le risque que les étudiants soient tentés de s’inscrire à deux concours successifs : les admissibles d’une session, n’étant pas sûrs de réussir les oraux, s’inscriraient massivement à la session suivante. Ce phénomène s’est déjà produit l’année du concours exceptionnel dont il a perturbé l’organisation. Ceci peut être évité si l’inscription à une session se fait après que les résultats de la session précédente ont été publiés.

 

En mathématiques, le point le plus préoccupant est le faible niveau disciplinaire des étudiants : cette proposition peut-elle changer quelque chose ?

 

o  Dans les licences

-  Tant que le concours n’est pas sélectif, nous aurons du mal à être exigeants dans les futures licences « CAPES ». Le risque est que certains admissibles ne valident pas leur licence.

 

-  Dans les licences de mathématiques, le L3 est beaucoup plus difficile que le L1 et le L2. Mettre en place des licences spécifiques pour ceux qui préparent le CAPES permettrait de réduire cet obstacle, mais il faudrait également relever les exigences dans les premières années. Il ne s’agit pas d’augmenter la quantité absorbée de théorèmes ou d’exercices-types, mais de s’assurer que nos étudiants savent chercher, raisonner, démontrer et même rédiger... Un travail de fond sur la licence est nécessaire, pour tous les étudiants en mathématiques, pas seulement pour ceux qui préparent le CAPES.

 

o  Dans les masters enseignement : un travail sur une vision globale des mathématiques et de la succession des programmes de la maternelle au bac +3 semble essentiel :

-  pour que les étudiants-stagiaires comprennent l’importance d’avoir un bagage minimum en mathématiques ;

-  pour redonner du sens et du goût aux mathématiques ;

-  pour que les enseignants continuent de faire des mathématiques tout au long de leur carrière.

 

Conclusion

Le changement permanent épuise les équipes pédagogiques sur le terrain. Les propositions qui sont faites imposeraient des changements conséquents, dans les licences et dans les masters enseignement, pour décaler le concours de 6 mois seulement. Cela en vaut-il la peine ?

 

Mettons plutôt notre énergie dans la formation continue car l’urgence est là. Il est illusoire de penser que la formation initiale peut préparer les enseignants pour toute leur carrière. Les enseignants évoluent, ils n’ont pas les mêmes préoccupations en tout début de carrière, où ils ont beaucoup de problèmes à résoudre rapidement, que par la suite, où ils peuvent devenir bien plus réceptifs à une réflexion sur le long terme. La science, les pratiques pédagogiques et les programmes évoluent aussi. Avec une formation continue structurée, on pourrait décharger un peu les étudiants de M2, pour les préparer à leur métier dans des conditions plus sereines, puis les accompagner tout au long de leur carrière. Comme aux autres étapes de la formation, une collaboration entre ESPE et composantes disciplinaire est indispensable.

 

Par ailleurs, un travail de fond sur les licences est nécessaire, et pas seulement pour les étudiants qui se destinent au métier d’enseignant. Espérons que la réforme qui s’amorce permettra de le mener à bien.

 

 


[1]                Par exemple, s’il est bien connu qu’il faut bien gérer sa classe pour enseigner dans de bonnes conditions, il est également vrai que gérer une classe suppose la maîtrise des disciplines et de leur didactique.

[2] En ce sens , la position de l’APMEP, qui demande le concours complet en fin de L3, suivi par deux années de stage et la titularisation au niveau du M2, est plus cohérente. Mais elle est indissociable des propositions faites pour les contenus du master où il faut assurer un équilibre entre les trois facettes de la formation : disciplinaire, pédagogique, didactique. Le texte de l’APMEP sera disponible ici : https://www.apmep.fr/Propositions-et-revendications,7986

 

 

Publiée le 17.07.2018